Parler pendant les combats
26 avril 2025Les combats dans Donjons & Dragons sont des moments intenses : les dés roulent, les sorts fusent, les monstres hurlent… et les joueurs aussi. Mais combien de temps un personnage peut-il vraiment discuter pendant six secondes de combat effréné ? Comment gérer un joueur qui passe son tour à discuter stratégie avec ses compères ? Comment gérer un personnage qui fait une sérénade en plein milieu de son tour ?
C’est un sujet peu simple aux milles réponses… Il faut opérer dans tout cela une distinction entre le joueur et le personnage, et trancher ce que chacun a le droit ou non de faire pendant et en dehors de son tour.
Dans cet article, je fais le point sur les règles officielles, les pratiques de table les plus courantes, et j’émet quelques propositions et astuces maison pour que le jeu reste fluide.
L’objectif est de trouver un équilibre entre :
- Le réalisme (6 secondes par tour)
- La stratégie d’équipe (coordination des joueurs)
- Le roleplay (interactions caractéristiques des personnages)
- La fluidité du combat (ne pas ralentir l’action)
Sommaire
La règle officielle
Dans D&D 5e, parler pendant son tour est considéré comme une “interaction gratuite”. Selon le Manuel des Joueurs (2014) p.190, vous pouvez communiquer “dans la mesure du possible, par phrases brèves ou par gestes” en tant qu’action gratuite pendant votre tour.
Donc, techniquement, pas de monologue dramatique ou de briefing tactique façon général Patton. Mais le texte reste volontairement vague, ce qui ouvre la porte à différentes interprétations.
Deux approches à essayer
Pour ma part j’ai essayé deux approches diamétralement opposées au sein de mon groupe de joueurs : le tour par tour où chaque personnage ne peut s’exprimer que durant son tour, et l’approche inverse où chaque personnage entend tout et est libre de s’exprimer.
Chaque approche a ses avantages et ses inconvénients. Aucune d’elle n’a foncièrement pris racine au sein de mon groupe mais étant donné que chaque dynamique de groupe et chaque table de jeu est différente cela peut valoir le coup de les passer en revue et de les essayer !
Option 1 : tour par tour
Chaque personnage ne peut s’exprimer que pendant son propre tour. Pas de discussions entre les tours, sauf pour de brèves interjections (réaction instinctive, cri bref, etc.). Cela reflète le chaos d’un combat réel, où parler et écouter simultanément n’est pas si évident.
L’avantage majeur du tour à tour est que la règle est simple, est la même pour tous peu importe le sujet, et tout le monde peut s’y conformer si elle est explicitée. Cela favorise l’immersion où le combat devient un moment chaotique car les personnages n’ont pas toujours le temps de se coordonner, renforçant l’urgence des décisions.
Mais en contre-partie cette méthode peut générer de la frustration : si un joueur a une idée brillante ou une réaction logique mais ne peut pas parler au moment voulu la coordination devient plus difficile car les actions combinées deviennent plus dures à réaliser. Cela peut même ralentir le rythme si les joueurs hésitent de peur de mal jouer leur tour sans information du groupe.
Option 2 : “tout le monde entend”
Pendant un combat, tout le monde peut parler à tout moment en tant que personnage. Pas de limite stricte de tour. On suppose que les personnages peuvent hurler des instructions, poser des questions, se répondre… même s’ils sont à 30 mètres ou en plein sort de boule de feu.
Cela favorise clairement la stratégie de groupe car les joueurs peuvent se coordonner en continu, le rythme est plus fluide car il y a moins de blocage qu’au tour par tour.
Le travers malheureusement de cette méthode est que les discussions en jeu RP peuvent facilement devenir des briefings tactiques prolongés, des joueurs très bavards peuvent noyer l’action sous une avalanche de mots ou des débats peuvent s’éterniser durant un tour.
Une nouvelle action “Parler”
Une idée que j’ai en ce moment est de créer une nouvelle action “Parler” qui s’ajouterai au panel d’actions possibles lors d’un combat tel que définit dans le Manuel des Joueurs (2014) p.192.
Ainsi en plus de aider, attaquer, lancer un sort, esquiver, foncer, se désengager, se cacher, se tenir prêt, chercher, utiliser un objet et stabiliser… les joueurs ont dès lors la possibilité de tenter de nouer le dialogue avec un PNJ en plein combat.
Pourquoi cette nouvelle action ? Je vous propose une démonstration par l’exemple :
Exemple de situation
Un joueur, pendant son tour de combat, souhaite faire parler son personnage pour tenter de convaincre un ennemi de se rendre ou de fuir, et cela implique une longue tirade roleplay.
Les enjeux à ce moment là pour les joueurs et personnages sont forts, les impacts et la façon dont cela va être géré peuvent être déterminant pour la suite du combat.
Votre rôle en tant que MD est de :
- Ne pas casser le rythme du combat
- Récompenser le roleplay sans donner d’avantage gratuit qui déséquilibrerai le jeu
- Garder une certaine cohérence avec les règles
- Maintenir la tension dramatique et l’engagement de tous les joueurs
Alors comment gérer cette situation ?
- Limiter la durée dans la fiction : 6 secondes
D&D 5e considère qu’un tour représente 6 secondes. À mon sens un personnage ne peut donc pas déclamer un monologue de 2 minutes mais… dans la réalité il faut permettre au joueur d’exprimer totalement l’idée que son personnage souhaite véhiculer.
Donc l’idée ici est, dans un premier temps, de ne pas briser la créativité du joueur et donc de l’autoriser à dire plus que 6 secondes en temps réel, de ne pas abuser sur le temps de prise de parole, et de rappeler que dans l’univers du jeu son discours est résumé ou accéléré.
- Considérer la tirade comme une Action
C’est là que considérer l’action de “Parler” comme une action à part entière prend sens pour la suite de la gestion de cette situation. À l’instar d’une action de combat qui cherche à réaliser des dégâts et donc avoir des impacts sur d’autres créatures, on peut considérer qu’une tirade peut être une action qui cherche également un effet concret :
- Action de Persuasion : tenter de convaincre
- Action d’Intimidation : forcer à battre en retraite
- Action de Tromperie : distraire ou piéger
Cela permet de conserver un certain équilibre : si un joueur veut influencer le combat via la parole, cela lui coûte son action.
- Demander un jet de compétence
Une tirade RP a un impact mécanique seulement si elle est soutenue par un jet de compétence, typiquement Persuasion, Intimidation, ou Tromperie.
Si le joueur fait un discours touchant, mais que son jet est pourri… le boss peut ricaner ou répondre avec cynisme. Mais si le jet est excellent le boss peut vaciller, hésiter, ou changer d’attitude.
On adaptera alors la difficulté (DD) en fonction du contexte, de la personnalité du boss, et de la cohérence de la tirade du PJ.
- Gérer les réactions du PNJ
En fonction des résultats de dés on est pas obligé d’aller jusqu’à la retraite ou l’abandon du combat, mais qui dit jet de compétence dit conséquence. On peut alors nuancer la réponse d’une créature : devenir hésitante ou retarder son action, répondre verbalement et créer un échange RP, modifier sa stratégie, fuir, etc.
Déroulé concret :
Joueur :
“Je pose mon marteau à terre, lève les mains vers l’ogre et dis : « Ton maître t’a abandonné. Regarde autour de toi, tu saignes, tes frères sont tombés. Mais il est encore temps… Pars. Tu n’as pas à mourir ici. »”
MD :
“OK, c’est ton action ? Fais-moi un jet de Persuasion, DD 18.”
MD (Si le jet réussit) :
“L’ogre hésite. Il regarde son bras ensanglanté, puis recule d’un pas. Il grogne, mais ne contre-attaque pas immédiatement. Il semble prêt à fuir…”
Ma règle générale
De manière un peu évidente voici ce que je met en place :
- Les joueurs peuvent discuter entre eux hors roleplay pour parler la stratégie (sauf si vous voulez jouer dans un style immersion forte)
- Les personnages, eux, n’ont droit qu’à une ou deux phrases rapides par tour, à voix haute et dans l’univers du jeu
- L’action “Parler” doit-être utilisée lorsqu’un personnage souhaite s’adresser plus longuement à un PJ ou souhaite avoir un impact en essayant de nouer le dialogue avec un PNJ (intimidation, persuasion,…)
Cela permet d’être en accord avec les règles officielles, de respecter les fameuses 6 secondes d’un round (juste assez de temps pour crier “Recule ! Je vais le geler !” ou “Ils arrivent par la droite !”) mais d’autoriser un peu de flexibilité autour de la mise en place de stratégie par les joueurs tout en offrant la possibilité de résoudre certains conflits via du roleplay.
Les discussions tactiques… avec modération
Si votre groupe aime le jeu tactique alors autoriser les joueurs à parler stratégie librement entre les tours me semble évident et permet de favoriser l’engagement collectif. Mais attention à ne pas laisser les discussions s’éterniser.
Limitez la parole des personnages à une phrase ou deux
In-game, les personnages n’ont pas le temps de débattre longuement. Instaurez une règle simple :
“Ton perso peut dire une ou deux phrases courtes par round. Tout le reste, c’est le joueur qui parle hors roleplay.”
Exemples de dialogues acceptables :
- “Couvre-moi, j’y vais !”
- “Ce n’est pas lui le vrai — il nous tend un piège !”
- “Je ne survivrai pas… dis à ma chouette que je l’aime.”
Les échanges avec un PNJ
Pour les échanges entre PJ et PNJ pendant le combat :
- Les provocations et menaces brèves peuvent être des actions gratuites, conformément aux règles officielles
- Les négociations plus longues quant-à-elles devraient utiliser la nouvelle action “Parler”, qui ne doit pas être une simple phrase courte (sans quoi on retombe sur la règle officielle de l’interjection entre deux attaques) mais une tirade avec une attente d’impact sur le PNJ concerné